Les Créateurs
Les Créateurs sont ces êtres humains hors norme qui à partir de leur imagination sont capables de créer des univers complets et fantastiques.
Il existe une catégorie d’êtres humains à part, hors norme. Ces hommes sont capables - à partir de leur imagination - de créer de vastes univers entièrement fictifs, immersifs, régis par leur propres lois, culture, histoire et géographie. Ils sont à l’origine de phénomènes culturels sans précédent. Ces Hommes sont des Créateurs. Et trois d’entre eux ont certainement impacté notre ère moderne un peu plus que les autres.
L’Anneau
Le premier Créateur est l’Anglais J.R.R. Tolkien (1892-1973), auteur du Hobbit (1937) et du Seigneur des Anneaux (1954-1955). Des œuvres qui ont sans aucun doute et à jamais redéfinit le genre littéraire fantastique et influencé des générations de lecteurs. J’ai récemment découvert sa vie dans la biographie, écrite par Humphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie.
Le Philologue
Tolkien est un catholique convaincu. Il se considère lui-même comme un sous-créateur - le Créateur absolu étant Dieu. Il est professeur de philologie à Oxford et a donc une très grande maîtrise des langues et des mots. Très tôt, il parle grec et latin, apprend ensuite l’anglais moyen, la gallois. Puis d’autres langues latines dans une certaine mesure (l’espagnol et le français), le finnois, et ainsi de suite. Il développe au cours des années une envie d’inventer des langages, qu’il utilisera par la suite dans ses œuvres. Comme par exemple le Quenya et le Sindarin, les langues des Elfes, dans le Seigneur des Anneaux. Ce sont également ces langages qui le mènent vers l’une des plus grandes œuvres de sa vie, le Silmarillion - un recueil titanesque de contes et légendes de la Terre du Milieu - commencé en 1914 mais publié seulement en 1977, après des décennies de travail.
Le Seigneur des Écrivains
En parallèle, Tolkien commence à créer des histoires pour enfants - comme le Hobbit (1937), dont c’était le public initial. D’ailleurs, et de manière intéressante - Tolkien ne considère pas qu’il invente ces histoires. Il les découvre, elles ne sont que des vérités cachées qui se rendent disponibles à lui. Devant le succès du Hobbit, ses éditeurs lui demandent d’écrire une suite. Tolkien - au prix de nombreuses années acharnées de travail - leur propose alors le Seigneur des Anneaux. Un livre qu’il n’avait jamais vraiment pensé écrire et qui s’avère être une rencontre entre les univers et les styles du Hobbit et du Silmarillion. Le résultat? Une œuvre d’un style inédit, finalement publiée en trois tomes entre 1954 et 1955. Le succès arrivera quelques années plus tard, une surprise pour Tolkien qui n’avait pas l’intention de devenir célèbre et n’en changea pas pour autant ses habitudes.
Un homme qui reste simple, qui continue à se consacrer à ses arts de professeur et d’auteur, et qui a créé l’un des mouvements culturels les plus importants du XXème siècle.
La Force
Le second Créateur est Américain et nous vient du monde du cinéma. Il s’agit de George Lucas (né en 1944), le producteur et réalisateur de - entre autres - Star Wars. C’est il y a un peu plus d’un an que j’ai lu sa biographie - George Lucas, une vie - écrite par Brian Jay Jones.
"Saigner sur le scénario"
Après un grave accident de voiture (1962), et contre les opinions de son père, George Lucas se tourne vers des études cinématographiques. Un talent se réveille et se révèle au grand public à travers l’un des ses premiers films, American Graffiti (1973). Le génie créatif de Lucas passe également par l’écriture, car il produit souvent ses scénarios lui-même. Une tâche qui le rebute par-dessus tout. Son pire cauchemar. À tel point que le chapitre qui porte sur le scénario de la Guerre des Étoiles s’appelle Saigner sur la page dans le livre de Jones. Cet exercice en particulier lui prend près de trois longues années, de Février 1973 à Janvier 1976. Et s’ensuivirent d’autres modifications de scénario pendant le tournage lui-même.
Control freak
Outre son imagination débordante, Lucas a assuré l’existence et la pérennité de son œuvre à travers des qualités uniques. Et en premier lieu, un contrôle impérieux sur son art. Alors qu’il commence à négocier Star Wars avec la Fox, Lucas sort traumatisé de son premier film, American Graffiti. Le studio de production - Universal Pictures - lui a imposé de nombreuses modifications - comme, par exemple, couper des scènes - contre sa vision artistique. Pas question que cela se reproduise avec Star Wars. Surfant sur son succès, il demande le contrôle du film, les droits pour les épisodes suivants en cas de succès (dont personne ne soupçonnait l’ampleur) et les revenus issus des produits dérivés (ce qui était peu considéré avant Star Wars). Ces conditions vont permettre à Lucas de garder le contrôle artistique mais également financier sur la suite des ses films.
Pour Star Wars, la volonté de contrôle et l’envie de repousser les limites de l'imagination le mènent également à créer une société d’effets spéciaux (THX) et d’effets sonores (ILM). Il révolutionne l’industrie et se crée des sources de revenus additionnelles et pérennes pour les années à venir.
Bref, le succès de Star Wars repose sur la combinaison d’un esprit créatif hors-norme, un talent hors pair, une vision précurseur de son œuvre et un contrôle absolu sur la réalisation de cette vision. Et qui mena à l’un des plus grands succès cinématographique et culturel du XXème siècle.
La Piraterie
Le troisième Créateur est Japonais. Il s’agit de Eiichiro Oda (né en 1975). Sa vie nous est contée par Alexis Orsini dans One Piece, la Volonté d’Oda.
"Le plus grand dessinateur du monde"
Eiichiro Oda est le créateur du manga One Piece, l’œuvre de bande dessinée la plus vendue au monde (500+ millions d’exemplaires) et qui raconte l’histoire d’un jeune pirate qui veut réaliser ses rêves. Oda, encore un être à l’imagination hors pair, qui lui avait dès le début une ambition claire: devenir le plus grand dessinateur au monde.
Les épreuves du Weekly Shōnen Jump
À l’inverse de Tolkien et Lucas - qui avaient déjà connu le succès avant leurs principales œuvres avec respectivement le Hobbit et American Graffiti - Oda n’avait rien publié de majeur avant de commencer One Piece. C’est le 4 Août 1997 (il y a bientôt 30 ans!!) que paraît le premier épisode dans le Weekly Shōnen Jump, un magazine Japonais, connu notamment pour avoir publié Dragon Ball. Et pour y parvenir, il a dû passer par toutes les étapes imposées par la publication. Il commence en assistant d’autres mangakas. Il publie quelques histoires en one shot. Comme tous les mangakas, il se voit attribuer un Tantô (responsable éditorial) par la rédaction, qui le guide dans son ambition, le pousse à affiner ses qualités… Et le pousse parfois dans ses retranchements. Retours incisifs sur le style du dessin, sur la qualité du design des personnages et la manière dont le lecteur pourrait s’attacher à eux, sur la profondeur du scénario, sur la pertinence de l’univers, sur le rythme des scènes. Il ne doit rien manquer. Et en aucun cas, le succès n’est garanti, même quand tous les éléments semblent rassemblés. Il faut ensuite convaincre la direction de la rédaction, qui donne un maximum de dix chapitres, en dix semaines, à une histoire pour convaincre le public. Car ce sont ensuite les lecteurs qui, à chaque parution, votent et donnent ainsi un classement des histoires les plus appréciées.
28 ans de succès
Ainsi, Oda dessine, affine et imagine ce qui deviendra l’œuvre de sa vie. Et la semaine du 4 Août 1997, Oda obtient une encourageante 4ème place dans le classement des lecteurs. Deux semaines plus tard, il enlève la première place. Peu commun pour un jeune dessinateur. Commence alors l’ascension fulgurante du mangaka de seulement vingt-deux ans. La suite appartient à l’Histoire. Bientôt vingt-huit ans plus tard, Oda continue à publier au rythme effréné d’un chapitre par semaine (avec des pauses bien méritées, pour le bien de sa santé), pour le plus grand bonheur de plusieurs générations de lecteurs passionnés.
Les 3 Créateurs
Ces trois artistes générationnels ont produit les œuvres les plus inspirantes et les plus entraînantes de notre ère culturelle moderne. Et pourtant, difficile d’imaginer trois personnalités plus opposées les unes aux autres. Le professeur Anglais, spécialiste des langues - vivantes, mortes ou créées de toute pièce. Le cool kid de Californie qui s’avère être l’un des réalisateurs les plus talentueux de sa génération. Et le dessinateur Japonais introverti - tout semble l’indiquer - qui s’exprime par son art et ses personnages. Et pourtant!
Sans compter les heures
À travers les biographies respectives, on comprend que ce sont tous les trois des monstres de travail. Oda publie à un rythme effréné. Tolkien écrivait souvent jusqu’à deux ou trois heures du matin, en plus de ses cours, les copies à corriger, les obligations administratives de l’université d’Oxford. Lucas passait souvent des nuits entières au montage vidéo de ses films.
L'Art de la Perfection
Ils sont également tous les trois des perfectionnistes extraordinaires. Tolkien révisait et ré-écrivait ses textes en permanence, au point de se perdre dans les différentes versions et de ne jamais publier la plupart de ses histoires. Lucas, pour qui chaque détail avait une importance critique: le scénario, le choix des acteurs, leur alchimie, les effets spéciaux et sonores, le montage. Tout justifiait d’améliorer, de peaufiner, de refaire. Au point de lui-même piloter les versions remasterisées des premiers films des années plus tard. Et Oda, qui des années en avance, foreshadow (annonce de manière subtile sans que le lecteur ne s’en rende compte) les scènes à venir de son œuvre. Un souci du détail, signe de sa volonté de perfection.
Rêves, Amitié et Liberté
Enfin, les grands thèmes communs abordés dans ces œuvres sont peut-être la principale raison de notre émerveillement. L’amitié. Des Hobbits. Des membres de l’équipage pirate. De Chewbacca. La bataille pour la liberté. Pour la lumière et pour les rêves. La quête de l’aventure et de la découverte, qui nous font voyager à travers des âges et des civilisations que personne n’a connus avant nous.
Bien sûr, ils ne sont pas les seuls. Ces hommes et ces femmes, qui à partir de rien créent - ou découvrent - ces univers et mettent en mouvement ces héros au travers d'histoires fantastiques. Ils le font pour nous, lecteurs et spectateurs et pour notre plus grand bonheur. Alors à ces trois grands hommes, et à tous les autres, un grand merci!