Économie de Santé
Vivre mieux, dans un monde meilleur. Ou pas.
Julia est en retard. Comme d'habitude. Joséphine attend son amie depuis 35 minutes. Elles avaient rendez-vous à 20h30 après le boulot pour boire un verre et dîner ensemble.
"Je suis DÉ-SO-LÉE, cette journée n'en finit pas! On a pris du retard avec cette interview, le journaliste m'a tenu la jambe pendant une plombe. Bref! J'ai pas pu arriver plus tôt"
Joséphine range son livre et la regarde en souriant!
"Profitons-en maintenant que tu es là, ça fait un bail! Raconte-moi, c'était quoi cette interview?"
Les images de la journée remontent dans la tête de Julia. Depuis 5 ans, elle est directrice Marketing pour un acteur mondial de services de santé. Sa boîte a révolutionné le marché ces 10 dernières années. Ils viennent de lancer un nouveau service révolutionnaire. Julia est une référence en matière de Marketing et est souvent sollicitée par les médias.
"L'Atlantic Morning Post publie une série de vidéos sur les tendances marketing 202X et on m'a demandé d'intervenir."
Julia a déballé son pitch habituel. À vrai dire, elle peine à le renouveler depuis quelque temps! L'importance de l'expérience utilisateur. La place centrale des données. Les tactiques d'optimisation média. L'impact de plus en plus important de la Data Science et du Modeling. Bla bla bla.
Elle a aussi partagé ses ambitions! Atteindre X millions de clients avec leur nouveau service, pour que chaque individu vive plus sainement, plus longtemps et plus heureux. Magnifique!
Bien sûr, ces services en question deviennent un peu plus indispensables chaque jour.
Les gens mangent mal. Il suffit de visualiser les reportages sur l'alimentation disponibles sur Netflix pour entendre une théorie sur chaque aliment, qui - d'une manière ou d'une autre - n'est pas adapté à une alimentation saine. Les gens ne dorment plus, happés par la dépendance croissante aux écrans qui - minute par minute - réduisent les heures de sommeil de la population mondiale. Et beaucoup voient toute leur énergie complètement vidée par des boulots qui en demandent toujours plus, et gratifient de moins en moins.
Julia, bien sûr, a également partagé les conseils essentiels! Méditer 10 minutes par jour. Marcher 20 minutes par jour. Acheter des légumes locaux. Etc. S'entendre prodiguer ces conseils lui donne presque envie de rire.
Elle, qui sort 4 à 5 fois par semaine. Qui régulièrement - souvent - boit plus que raisonnablement ne veut pas voir le fond de son verre. Qui rentre chez elle à l'aube. Qui n'hésite pas à utiliser certaines substances pour tenir la journée. Qui, pour se donner bonne conscience, mange une salade au déjeuner et va au yoga un lundi sur deux. Et sans parler de ces looooongues minutes - heures - à scroller, scroller, scroller sur les réseaux sociaux. Instagram. TikTok. Whatsapp. J'en passe. Elle voit la consommation atteindre des niveaux affolants. Mais elle y stocke tout son stress - sans réaliser qu'elle en génère au moins tout autant. Enfin, d'une certaine manière, elle le sait. La dopamine. Toute cette pression qui repose sur ses épaules. Augmenter les ventes avec moins de budget. Être au plus proche de ses clients dans un monde désintermédié. Être de plus en plus performante dans un univers de plus en plus déshumanisé. Le Burn-Out qui arrive. La dépression. Le néant.
Julia secoue la tête, imperceptiblement. Elle revient à la réalité et regarde Joséphine:
"On commande une bouteille de vin?"